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Publié le 9 décembres2022 – Auteur : Coline Mionnet
Éco-anxiĂ©tĂ©, Grande DĂ©mission : les jeunes redessinent leur avenirÂ
L’espoir. L’espoir de rĂ©ussir Ă gagner une bataille qui semble perdue, la lutte contre le consumĂ©risme, l’attĂ©nuation du rĂ©chauffement climatique, la diminution des gaz Ă effet de serre (GES). C’est ce qui anime, malgrĂ© les difficultĂ©s, une partie des Ă©co-anxieux et des dĂ©missionnaires. On parle de plus en plus souvent d’Ă©co-anxiĂ©tĂ©, mais pas forcĂ©ment sous un angle positif. Alors ici, nous allons voir comment les mauvaises nouvelles concernant l’environnement peuvent avoir des consĂ©quences positives !Â
Grande DĂ©mission et quĂŞte de sens ?
En 2021, 23% de la population active totale a dĂ©missionnĂ© aux États-Unis, soit 38 millions de personnes. Au premier semestre 2022, 20 millions d’AmĂ©ricains supplĂ©mentaires ont quittĂ© leur emploi. Ce phĂ©nomène porte le nom de « Great Resignation », ou « La Grande DĂ©mission » en français.Â
Une tendance qui n’a pas tardĂ© Ă toucher la France puisque la Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares) enregistrait en juin et juillet 2021, 302 000 dĂ©missions de personnes en CDI contre 263 000 Ă la mĂŞme pĂ©riode en 2019. Cela reprĂ©sente une hausse de 10,4% en juin et de 19,4% en juillet. Les salariĂ©s en CDD ont Ă©tĂ© encore plus nombreux Ă quitter leur emploi, avec une hausse de 25,8% des ruptures anticipĂ©es en juin 2021 par rapport Ă juin 2019.
Toujours selon la Dares, entre fin 2021 et dĂ©but 2022, on dĂ©nombre 520 000 dĂ©missions par trimestre, dont 470.000 dĂ©missions de CDI, soit 20 % de plus qu’Ă la fin de l’annĂ©e 2019. Et la vague de dĂ©missions risque de continuer Ă dĂ©ferler ! D’après une enquĂŞte Ipsos pour BCG, un tiers des employĂ©s qui font un travail de terrain pourraient quitter leur emploi d’ici Ă la fin de l’annĂ©e. Des chiffres rĂ©vĂ©lateurs d’une tendance catalysĂ©e par la crise sanitaire.Â
Depuis l’annĂ©e dernière, les entreprises peinent Ă recruter. En ce mois d’aoĂ»t 2022, l’accueil du site PĂ´le Emploi indique que 951 000 postes sont Ă pourvoir. La santĂ© reprĂ©sente le secteur le plus en crise, suivi par ceux du transport et de l’hĂ´tellerie-restauration.  Mais ce ne sont pas les seuls secteurs impactĂ©s par le phĂ©nomène de la Grande DĂ©mission. Rappelez-vous, en avril, huit ingĂ©nieurs d’AgroParisTech ont fait le buzz pendant leur remise de diplĂ´mes en appelant publiquement Ă dĂ©serter de futurs emplois qui seraient nĂ©fastes pour la planète.Â
 Toujours en France, une Ă©tude OpinionWay pour Indeed publiĂ©e le 24 mai montrait que plus d’un tiers des sondĂ©s n’avaient jamais autant eu envie de dĂ©missionner qu’actuellement. Une proportion qui monte Ă 42% chez les moins de 35 ans.Â
Encore plus Ă©tonnant, le phĂ©nomène de la Grande DĂ©mission a vu un autre mouvement se rĂ©pandre en parallèle : le « Quiet Quitting », ou le « Renoncement Silencieux ». Dans ce cas, les salariĂ©s ne dĂ©missionnent pas, ils restent en poste, mais ils remplissent leurs tâches sans s’investir davantage dans l’entreprise. Ils ne se sentent pas concernĂ©s par sa rĂ©ussite.Â
Pourquoi les salariĂ©s dĂ©missionnent-ils en masse ?Â
L’Ă©tude prĂ©citĂ©e affirme que 48% des rĂ©pondants, et 56% des moins de 35 ans, considèrent qu’ils ont plus de chances, aujourd’hui, de trouver un emploi qui leur corresponde vraiment, qui a plus de sens par rapport Ă leurs valeurs. Les salariĂ©s ayant fait plus de deux ans d’Ă©tudes et au moins 3 ans d’anciennetĂ© seraient les plus reprĂ©sentĂ©s dans cette catĂ©gorie.
Le Covid, les diffĂ©rents confinements et l’Ă©loignement avec les autres et avec la Nature ont bouleversĂ© les esprits. On se souviendra longtemps de l’obligation de signer une attestation pour avoir le droit de faire 1h de sport par jour Ă 1km autour de chez soi… Des amendes pour ceux qui Ă©taient vĂŞtus d’un jean pour cette occasion… Pendant un temps, on a vĂ©cu que pour travailler, faire ses courses, manger, regarder la tĂ©lĂ© ou lire et dormir. A la sortie du dernier confinement, la soif de grands espaces et de libertĂ© a gagnĂ© du terrain partout, dans tous les esprits.Â
Quand tout tournait au ralenti, nous avons eu le temps de nous interroger sur le sens de notre vie et sur la place de notre travail dans celle-ci. C’est justement au nom de cette quĂŞte de sens et/ou de libertĂ©, que de plus en plus de personnes n’hĂ©sitent pas Ă quitter leur emploi pour se consacrer Ă un quotidien moins stressant, en phase avec leurs convictions.Â
A l’instar de cette Youtubeuse, qui a quittĂ© son travail afin d’allĂ©ger son empreinte carbone, Ă cause des allers-retours en voiture qui lui plombait son bilan.
Alors, vous allez dire, elle n’avait qu’Ă prendre le train ou faire du covoiturage ? Mais quand avec le tĂ©lĂ©travail, on s’habitue Ă ne plus perdre, que ce soit en voiture ou en train, 1h ou 2h par jour pour se rendre au bureau, on n’a pas envie de reprendre cette habitude nĂ©faste pour l’environnement et son rythme de vie. On avait davantage le temps de faire du sport, de lire, de cuisiner, de jardiner ou de bricoler et en plus on polluait moins l’atmosphère, alors on ne veut pas revenir en arrière.Â
Alarmant, ce chiffre dĂ©voilĂ© par le baromètre Empreinte Humaine rĂ©alisĂ© par OpinionWay, rĂ©vèle que 41% des salariĂ©s se disent en souffrance par rapport Ă leur travail. Les principales raisons Ă©voquĂ©es sont diverses :Â
– un salaire trop bas,Â
– l’absence de perspectives d’évolution,Â
– un manque de considĂ©ration de leur travail ;Â
– mais aussi : l’abandon du tĂ©lĂ©travail total, qui offrait la possibilitĂ© de s’Ă©loigner de la ville et d’avoir plus de temps pour soi et ses proches.Â
Autant de raisons qui poussent les jeunes et les moins jeunes Ă crĂ©er leur entreprise. Fin juin 2021, la France comptait 2,23 millions d’auto-entrepreneurs actifs. D’après l’Urssaf, il y a eu 400 000 nouveaux entrepreneurs entre juin 2020 et 2021, soit une hausse de 17,2%. L’attrait pour cette indĂ©pendance professionnelle rĂ©sonne avec ce que les Français en tĂ©lĂ©travail ont dĂ©couvert pendant les confinements : plus de trajets quotidiens, des horaires amĂ©nagĂ©es voire choisies, moins de pression, moins de conflits au bureau, ou encore la possibilitĂ© de travailler d’oĂą on veut.Â
L’Ă©co-anxiĂ©tĂ© : un mal pour un bien ?Â
L’Ă©co-anxiĂ©tĂ© est un Ă©tat d’esprit liĂ© Ă la prise de conscience du dĂ©règlement climatique et d’un avenir incertain qui se manifeste surtout chez les jeunes de 20 Ă 30 ans. Toutefois, elle peut atteindre tous les âges. On parle et on souffre de plus en plus d’Ă©co-anxiĂ©tĂ© car les manifestations des changements climatiques sont aussi de plus en plus frĂ©quentes et intenses (incendies, canicules, inondations, tempĂŞtes, grĂŞle, effondrements, sĂ©cheresse, manque d’eau potable…)Â
Selon une Ă©tude publiĂ©e par The Lancet Planetary Health en 2021, 45 % des jeunes dans le monde seraient Ă©co-anxieux. Parmi les rĂ©pondants, 64% estiment que leurs gouvernements ne font « pas assez » pour Ă©viter une catastrophe climatique. Mais pas seulement les gouvernements. Une rĂ©cente Ă©tude d’Oxfam et Greenpeace a affirmĂ© que 63 milliardaires français Ă©mettent autant de CO2 que 50 % de la population française.Â
Depuis le dĂ©but de l’ère industrielle, l’Homme dĂ©truit le vivant. Il rejette trop de CO2 dans l’atmosphère, qui se rĂ©chauffe et dĂ©règle le climat. Comme s’il avait percĂ© sa poche d’oxygène. Il risque de disparaĂ®tre Ă cause de ses propres actions, ce qui peut soulever chez certains une angoisse de mort ainsi que des sentiments de culpabilitĂ©, de colère envers les pouvoirs publics ou privĂ©s et d’impuissance.Â
Tant que les Ă©missions de gaz Ă effet de serre n’auront pas diminuĂ© suffisamment pour atteindre 0 net, le niveau de rĂ©chauffement planĂ©taire continuera Ă augmenter, selon la chercheuse en climatologie, ValĂ©rie Masson-Delmotte. Elle cite quatre risques majeurs pour l’Europe de l’Ouest :Â
– la chaleur extrĂŞme (consĂ©quences sur la biodiversitĂ© terrestre et marine et donc sur la santĂ© -rĂ´le Ă parts Ă©gales des forĂŞts et du plancton dans la production d’oxygène-),Â
– les consĂ©quences des alĂ©as climatiques sur les activitĂ©s agricoles,Â
– le risque de pĂ©nurie d’eau (pour les usages agricoles et domestiques),Â
– les inondations et la montée du niveau des mers qui engendreront des déplacements de populations.
L’action comme voie salvatriceÂ
Pour la plupart des Ă©co-anxieux, conscients de ces risques, il est urgent d’agir. Chacun Ă son niveau. Grâce Ă cette mise en mouvement, on estompe l’anxiĂ©tĂ©. Certains militent sur le plan politique pour obtenir des lois environnementales plus contraignantes, pour changer notre système Ă©conomique basĂ© sur le consumĂ©risme, d’autres calculent leur empreinte carbone pour tendre vers un quotidien plus sobre Ă©nergĂ©tiquement, en quittant leur travail qui manque de sens Ă©cologique ou humain, qui les oblige Ă prendre la voiture ou Ă perdre du temps dans les transports, en choisissant une reconversion professionnelle, en mangeant moins de viande, en ne prenant plus l’avion, en achetant des vĂŞtements ou des meubles d’occasion, en dĂ©cidant de ne pas avoir d’enfants, en adoptant un mode de vie zĂ©ro dĂ©chet, etc. La liste est longue !Â
Toutes ces actions ont un impact sur leur entourage, qu’ils incitent Ă suivre, et l’impact grandit de jour en jour. Une sorte de rĂ©volution lente et presque silencieuse s’est amorcĂ©e.Â
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».Â
GandhiÂ
Une des grandes figures modernes de cet impact Ă©co-rĂ©volutionnaire : Greta Thunberg. A seulement 16 ans, elle a initiĂ© un Ă©vĂ©nement mondial hebdomadaire : Fridays for Future (Vendredis pour le Futur). Tous les vendredis, partout dans le monde, des millions de jeunes ont manifestĂ© dans les grandes villes pour demander plus d’actions, pas des promesses, pour le climat. La jeune activiste a Ă©galement crĂ©Ă© une association : Youth for Climate (Les jeunes pour le Climat) et a fait la Une du Times.Â
Non, l’Ă©co-anxiĂ©tĂ© n’est pas une maladieÂ
Bien qu’elle peut se prĂ©senter sous la forme de troubles du sommeil, d’une perte de poids, ou de comportements dĂ©pressifs, l’Ă©co-anxiĂ©tĂ© est exclue du champ des pathologies psychologiques. Une pathologie se soigne Ă l’Ă©chelle de l’individu, or dans le cas de l’Ă©co-anxiĂ©tĂ© c’est impossible car la cause est externe Ă l’individu, elle provient de l’inaction des gouvernements et des plus riches.Â
Voici le témoignage de Charlotte, une jeune étudiante engagée dans le mouvement Youth For Climate :
“Quelles Ă©motions le changement climatique t’inspire-t-il ?”
Charlotte : “Tout cela ne m’inspire qu’inquiĂ©tude et anxiĂ©tĂ©. Lorsque je vois l’évolution de la situation, que ce soit la montĂ©e des eaux, des tempĂ©ratures, du taux de CO2, le fait qu’on ait consommĂ© l’ensemble des ressources de la planète pour l’annĂ©e le 28 Juillet ! Je suis vraiment choquĂ©e qu’il n’y ait que très peu de rĂ©actions de la part du gouvernement. La visibilitĂ© que l’on donne a tout ça sur les rĂ©seaux, par le biais des mĂ©dias est mĂ©diocre et ça me dĂ©goĂ»te. Comme si tout cela Ă©tait censurĂ©. Je rĂ©sumerais donc par : la peur, le dĂ©goĂ»t, l’anxiĂ©tĂ©, l’indignation.”
« Dans quelle mesure ton sentiment peut-il t’amener Ă
– essayer d’agir ?
– te former ?
– t’engager en politique ? »
Charlotte : “J’aimerais Ă©normĂ©ment pouvoir agir mais le problème est que je ne sais pas comment. Enfin, j’agis Ă mon Ă©chelle, au quotidien, que ce soit les produits que je consomme (alimentaire et textile), l’eau, la lumière. Mais j’aimerais faire plus pour qu’enfin les choses bougent rĂ©ellement. Je serais prĂŞte Ă y passer Ă©normĂ©ment de temps effectivement, parce que c’est maintenant qu’il faut agir.Concernant la formation, je pense que la situation est super instable, je me demande alors comment rĂ©ellement anticiper le marchĂ© et ainsi me former au mieux au regard de tous ces facteurs incertains. Si j’avais un message, ce serait : arrĂŞtez de faire passer l’argent avant l’avenir de la terre et de l’humanitĂ©, agissez maintenant !”
Selon le rapport de l’ONU paru en avril, la communautĂ© internationale n’a plus que trois ans pour tenter de conserver un monde “vivable”. L’humanitĂ© est Ă un moment clĂ© de son existence, et ceux qui en sont conscients sont prĂŞts Ă renoncer Ă une carrière, Ă un bon salaire, pour peser dans la balance.Â
Faire chavirer le navireÂ
“Ce mal-ĂŞtre fait traverser une crise existentielle, au cours de laquelle beaucoup remettent en cause leurs choix de vie” a expliquĂ© Charline Schmerber, psychothĂ©rapeute, Ă France24. Les jeunes se demandent : “Ă€ quoi bon faire une Ă©cole de commerce, si c’est pour entretenir un système toxique ?”, rapporte la thĂ©rapeute. D’après elle, cette culpabilitĂ© peut ĂŞtre « malsaine si elle prive le patient d’une Ă©nergie qu’il pourrait investir ailleurs (…) Se battre pour demain, sans sacrifier aujourd’hui.».Â
L’anticapitalisme, la dĂ©croissance, l’antilibĂ©ralisme et la solidaritĂ© font partie des valeurs fortes que le mouvement des Jeunes pour le Climat revendique (Charte de Grenoble).
En rĂ©ponse Ă ces questionnements des jeunes, de nouvelles Ă©coles voient le jour. A l’instar de la Klima School, qui accueillera ses premiers Ă©tudiants en 2023 pour leur proposer une formation en commerce basĂ©e sur la responsabilitĂ© sociale et environnementale des entreprises. Un module dĂ©diĂ© au calcul des bilans carbone est d’ores et dĂ©jĂ prĂ©vu. « L’objectif est de former des personnes qui ont envie d’aider les entreprises et les pouvoirs publics Ă faire les bons choix stratĂ©giques en termes de climat et de durabilitĂ© », selon Joseph Hermet, le fondateur de l’Ă©cole.Â
Parmi les dĂ©bouchĂ©s, on retrouve des postes variĂ©s comme consultant climat RSE, Ă©co-concepteur, responsable des achats durables, chargĂ© de dĂ©veloppement d’énergies bas carbone, chef de projets bas carbone… Plus de 400 000 emplois devront ĂŞtre crĂ©Ă©s dans la transition Ă©cologique et climatique d’ici 2035 selon l’ADEME. Aujourd’hui, chaque Français Ă©met en moyenne 10 tonnes de CO2 par an, or, il faudrait passer Ă 2 tonnes par an pour respecter l’accord de Paris sur le Climat. Chacun peut estimer et suivre son empreinte carbone pour tenter d’y arriver avec le simulateur gratuit disponible sur le site Nos Gestes Climat.
Doublement diplĂ´mĂ©e en sciences politiques et en philosophie, l’activiste de 24 ans Camille Etienne a rĂ©pondu Ă une interview des Échos en juillet dernier. Ses rĂ©ponses apportent un vent de positivitĂ© : « L’Ă©co-anxiĂ©tĂ© est pour moi de l’Ă©co-luciditĂ©. Notre anxiĂ©tĂ© vient de notre capacitĂ© Ă ne plus dĂ©tourner le regard face Ă la destruction du vivant. C’est plutĂ´t sain de ne plus se mentir, ça signifie que l’on a passĂ© la phase du dĂ©ni. (…) L’espoir vient de l’action. Ce n’est pas un truc qu’on attend et qui nous tombe dessus. Il naĂ®t parce qu’on fait partie d’un mouvement, d’une histoire, d’un tout, Ă l’intĂ©rieur duquel on peut espĂ©rer que d’autres nous rejoignent et qu’ensemble on soit assez grands pour faire basculer le système (…) Je consomme donc je suis ». Chaque jour, on est inondĂ©s de pubs, de logos, de slogans (…) On a besoin d’autres imaginaires pour construire un monde durable. » (Camille Etienne).Â
A nous donc d’inventer ces autres imaginaires, dans lesquels l’humanitĂ© a un espoir de survie.